Par Kossi Agbolo, 28 mars 2018
NB: Le présent article est la version française d’un article en espagnol, du même auteur, intitulé « la Malinche o la piedra angular de la conquista » publié sur notre plateforme le 5 février 2018 et accessible au lien suivant: https://www.mli-benin.com/?p=1304En foulant le sol du Nouveau monde, les conquérants étaient, d’entrée de jeu, frappés par la beauté de la nature de ces contrées jusque-là inconnues. La splendeur des lieux et la végétation luxuriante ne passaient pas inaperçues. Nul ne pouvait être insensible à la beauté de ce continent, une œuvre d’art achevée du souverain Créateur.
Quelles sont les raisons qui m’ont motivé à écrire un article sur ce continent merveilleux ? Tout d’abord, j’ai une attirance indescriptible pour la civilisation latino-américaine. En outre, la beauté de la nature du continent ne me laisse pas indifférent. S’agissant de la nature, permettez-moi d’ajouter que j’ai un penchant naturel pour la nature, c’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles je fais tout mon possible pour avoir des connaissances plus approfondies sur ce continent dont le paysage est on ne peut plus attirant.
Ce fut aussi dans ces lieux que vit le jour La Malinche ; son nom indigène était Malinali o Malintzin. Cependant, cette dame fut nommée plus tard Doña Marina par les conquérants. Le père de Marina était un seigneur féodal de l’empire du Mexique; la Malinche était donc d’origine noble. Cependant, à la mort de son géniteur, la petite fille avait été vendue à une tribu Maya dans le Yucatan, dans le voisinage de l’actuel état de Veracruz. Subitement, son statut social changea. Elle devint esclave et domestique de ses nouveaux maîtres. Elle demeura dans cette situation jusqu’à l’arrivée des hommes de Hernan Cortes à Tabasco qui abritaient quelques tribus Maya.
En effet, après la découverte de l’île de Cuba, Diego Velazquez fut nommé gouverneur de l’Île par la Couronne de l’Espagne. En 1504, Hernan Cortes embarqua pour les Indes. A son arrivée à l’Île de Cuba, il exerça le métier de Secrétaire puis devint propriétaire terrien. Quelques années plus tard, le gouverneur Diego Velazquez lui confia la mission d’aller faire la reconnaissance d’autres terres, et identifier d’autres indiens plus organisés et disciplinés que ceux qu’ils avaient connus jusque-là.
En arrivant à Tabasco, Cortes livra des batailles contre des tribus Maya en 1519. En guise de reconnaissance de leur défaite, quelques caciques locaux allèrent à la rencontre de Cortes et sa troupe avec des demoiselles, parmi lesquelles se trouvait La Malinche. La Malinche, qui était esclave venait ainsi de changer de maître. Tout d’abord, elle était offerte au capitaine Alonso Hernandez pour être sa concubine. Après l’avoir baptisée à la foi chrétienne, les espagnols l’appelèrent Doña Marina. Plus tard Cortes apprit que La Malinche parlait à la fois le Nahuatl de ses origines et le Maya de ses maîtres, il décida donc de reprendre la belle Malinche. Il en fit son interprète et concubine. Cependant, je ne saurais parler de ce nouveau métier de la Malinche en tant qu’interprète du conquérant sans faire référence au Frère Jeronimo de Aguilar. Il s’agit d’un espagnol qui avait vécu durant plusieurs années parmi les Maya après le naufrage de son embarcation. Le conquérant avait racheté le frère Jeronimo à Cozumel, une autre province dans le Yucatan. Alors, La Malinche faisait l’interprétation avec l’aide du Frère Jeronimo de Aguilar, le Frère s’exprimait bien en Maya et en castillan.
Ainsi, les deux collègues faisaient la combinaison suivante : Cortes parlait le castillan à Aguilar et ce dernier parlait le Maya à La Malinche, qui, à son tour, parlait le Nahuatl aux indiens, ainsi de suite. C’était ainsi que le relai serait utilisé pour la première fois dans l’histoire de l’interprétation. Ce procédé d’interprétation avait été crucial à l’avancée du conquérant, il arrivait à échanger avec les indigènes et en même temps, profitait pour se familiariser avec les coutumes des indigènes. Il avait besoin de comprendre les uns et les autres, afin de s’unir contre l’ennemi commun : Moctezuma, l’empereur des Aztèques. Quelques mois plus tard, La Malinche, dotée d’une intelligence hors pair et d’une voix de rossignol, finit d’apprendre le castillan et pouvait désormais interpréter directement à Cortes, sans recourir à une tierce personne.
L’on ne saurait sous-estimer le rôle joué par La Malinche auprès de Cortes, ce qui avait rendu possible la rencontre entre Cortes et l’empereur Aztèque, Moctezuma. Cette rencontre a lieu exactement le 8 novembre 1519. L’empereur avait accordé une audience au conquérant. Il fallait bien expliquer la raison sous-jacente de la présence de Cortes dans ces contrées perdues, devant tous les courtisans de Moctezuma, rendre fidèlement son message sur le motif de son voyage sur le territoire des indiens. La Malinche avait joué un rôle très crucial au cours de cette rencontre. Elle avait transmis fidèlement toutes les idées de Cortes. Il s’agissait du fait que ce dernier était envoyé par une grande personnalité, le roi d’Espagne. Dans son rôle, elle avait également expliqué la foi chrétienne à l’empereur, et ajouté que l’Espagne avait le droit sur toutes les terres du monde conformément aux injonctions signées par le pape à cette époque. Elle avait eu du fil à retordre, pour pouvoir faire comprendre aux indiens la façon dont Jésus Christ avait été crucifié. Les indiens avaient eu tout le mal du monde avant de se laisser inculquer l’idée selon laquelle un roi fut tué et crucifié sur la croix. Ce fut encore plus difficile de faire comprendre aux indiens que les espagnols raffolaient des métaux jaunes. Tout ceci était une tâche herculéenne à laquelle s’était livrée La Malinche.
Toutefois, La Malinche qui se prêtait de temps à autre à cet exercice d’interprétation au cours de ce grand projet du conquérant ne demandait rien en retour. Elle ne demandait ni honoraires, ni le remboursement de ses dépenses de voyage. Je ne peux même pas affirmer avec certitude qu’elle était logée dans de bonnes conditions comme l’exigent les règles de la profession de nos jours. Tout ce que je peux dire, c’est qu’elle ne prenait pas sa pause-café sur une terrasse enguirlandée, elle le faisait plutôt dans la nature, et les oiseaux lui jouaient de la musique classique à travers leurs différents chants. Au cours des débats, La Malinche ne pouvait pas observer une pause, elle prenait son repos lorsque les protagonistes n’avaient plus rien à se dire. Et lors des déplacements, la jeune interprète était exposée à toute sorte de dangers, par exemple les embuscades et les affrontements qui étaient légion à cette époque. Elle ne pouvait pas disposer librement de son temps, elle, la langue de Cortes. Elle devait se plier scrupuleusement à tous les déplacements du conquérant, parce qu’elle n’était qu’une esclave au service de son maître, une esclave-interprète. Elle ne savait pas qu’elle exerçait l’une des professions les plus prestigieuses au monde. Cependant, Cortes reconnaissait la valeur de La Malinche, il veillait toujours sur sa précieuse interprète chaque fois que sa troupe était confrontée à un danger. Le conquérant ne veillait pas sur son indigène de La Malinche à cause de sa beauté ; il savait qu’elle valait son pesant d’or.
En outre, La Malinche avait joué son rôle avec amour et en faisant preuve d’une soumission sans réserve à son maître Hernan Cortes qui était non seulement son employeur au cours de cette conférence marathon de deux années (1519-1521), mais aussi son amant. La belle Malinche était bien dans son rôle, elle tirait un bonheur inestimable de ce changement brusque dans sa vie, même si elle n’était qu’une esclave, vivre à côté des conquérants lui conférait un certain prestige. Plus d’un pouvait le remarquer lors du fameux voyage à Tenochtitlan, la capitale des Aztèques. La belle Malinche était auréolée de gloire ; elle qui était vendue par les siens, était revenue en triomphe.
En guise de conclusion, La Malinche fut affranchie par Cortes qui n’avait pas manqué de la récompenser pour tous les services rendus à la Couronne d’Espagne. La Malinche fut célébrée avec beaucoup de dons, y compris des droits d’exploitation terrienne. Celle qui n’était qu’une esclave était devenue une dame riche. Tout s’était passé comme si La Malinche avait reconquis son statut de prestige qui lui revenait de droit, de par sa naissance.
A propos de l’auteur
Kossi Agbolo est un interprète togolais dans la quarantaine connu pour son franc-parler. Cabine française de son état, ce passionné de l’écriture et de la culture hispanique qu’il promeut a grandi dans une famille nombreuse à Lomé. Très tôt, il est tombé amoureux des livres. Il lut toutes sortes d’œuvres littéraires qui lui passaient par la main. Cela lui permit de pousser ses études jusqu’au niveau universitaire. Kossi a passé une bonne partie de sa vie au Nigeria, où il a travaillé comme secrétaire-bilingue à l’Ambassade de France près le Nigeria, puis brièvement à la CEDEAO. Poussé par la soif de connaissances, il a démissionné pour faire d’autres études universitaires. Ce qui lui a permis d’apprendre la langue de Cervantes et de faire son Master en Interprétation de conférence à University of Ghana (Legon). Actuellement, il est interprète de conférence indépendant et traducteur assermenté pour les langues française, anglaise et espagnole près la Cour d’Appel du Togo. Kossi est un amoureux de la nature et il lutte pour sa préservation.